Troisième partie :

 

L’ ARRIVEE

 

Enfin nous voici dans la mer de Chine, nous allons atteindre la côte indochinoise et terminer en beauté la traversée. Au début de l’après-midi nous apercevons notre première jonque chinoise, magnifique avec ses grandes voiles multicolores et son poste de pilotage en bois sculpté et verni. Puis dans la soirée, nous dépassons la sombre île de POULO-CONDOR ; le bagne indochinois. Bientôt ce sera la nuit, notre dernière à bord.

 

L’aube n’a pas encore fait poindre la clarté que nous  arrivons au Cap St Jacques. Nous sommes sur cette mer de Chine où, en ces temps nouveaux, s’affrontent des intérêts colossaux de richesse et de domination. La rivière de SAIGON qui relie la mer à la ville est là, tout près, mais nous sommes ancrés au large car il faut attendre la marée haute pour s’y engager.

Un pilote, spécialement entrainé pour cette manœuvre vient d’embarquer. Nous sommes tout prés du but et pourtant le navire mettra  presque sept heures pour atteindre le port.

C’est l’eau de la rivière qui  nous déçoit par sa teinte jaunâtre et terreuse contrastant étrangement  avec la luxuriante végétation . Ce sont les sampans remontant le courant, ballottés par la vague déclenchée par le passage de notre bateau, occupés par des silhouettes caractéristiques de l’asiatique, pantalon et veste légers, chapeau conique à l’ombre duquel clignotent deux petit yeux bridés. Tout ceci s’observent par les hublots car depuis le cap, nous sommes effectivement entrés dans la peau de ce nouveau personnage : le soldat du Corps Expéditionnaire.

Sur les ponts avant et arrière des sections de mitrailleuses ont été mises en position de combat, les armes braquées face aux rives et seuls leurs servants doivent rester à découvert.

Nous apercevons enfin les premiers éléments de SAIGON . C’est un charivari de questions, et de réponses, un concert d’exclamations, de suppositions, aussi, qui ne s’arrêtera qu’à notre arrivée à quai.

Nous sommes le 18 août 1949.

Le lendemain, un adjudant-chef du 5ème Régiment de Cuirassiers nous rejoint à SAIGON et nous annonce que pour nous rendre au P.C. de THU-DAU-MOT, il nous faudra emprunter « La rafale » (train blindé servi par la Légion) car nous sommes le jour du convoi et tout l’effectif participe à l’ouverture de route, puis est occupé à surveiller le bon déroulement du passage des files de camion. Comme ce gradé connaît très bien notre adjudant, il l’embarque dans sa jeep et me voilà promu responsable du détachement. Avant de nous abandonner à la gare, on nous signale que le train blindé  arrive rarement sans incident et qu’en soirée, la protection du convoi étant terminée, on avisera pour venir nous chercher. Bien entendu, nous prenons ces paroles comme une galéjade destinée  à faire peur aux bleus.

On nous a attribué deux F.M. que je confie à deux brigadiers-chefs et une caisse de grenades à distribuer qu’en cas d’accrochage seulement.

A proximité de notre destination, grosse explosion. « La Rafale » vient de sauter sur une mine, par chance notre wagon n’a pas déraillé, mais nous sommes pris sous les feux du Viêt-minh couvrant son décrochage. Pour la majorité d’entre nous, le baptême du feu est plus rapide que prévu. Au moment de distribuer les grenades, impossible de trouver les détonateurs. Oubli qui ne fait pas sérieux. L’embuscade terminée, je m’empresse d’emmener un blessé léger au wagon d’infirmerie. C’est alors que l’infirmier me signale qu’un petit filet de sang s’écoule de mon cuir chevelu écorché par un éclat métallique qui a transpercé mon calot juste au dessus du liseré. Après toutes ces émotions, deux G.M.C., escortés par une patrouille du 5ème Cuir, arrivent pour nous récupérer.

Nous voici enfin à pied d’œuvre, à la citadelle de THU-DAU-MOT pour effectuer notre séjour qui, en ce qui me concerne, sera de vingt huit mois.

Heureusement que la chance ne m’a pas abandonné.

Emile GINEPRO