INDOCHINE

 

 

(Le récit qui suit provient de mes notes que j'inscrivais dans un petit carnet dès que je pouvais le faire ; c'est pourquoi il y a parfois ...si l'on peut dire... de simples énumérations de dates, de faits,  et le nom des lieux n'est peut-être pas orthographié correctement,   etc.... .)

 

 

Ancien de la 1ère armée Française, j'étais au 23° RIC 3° bataillon CA.

 

8 mai 1945, à l'armistice, les 3 bataillons du 23° RIC sont regroupés à SCHEMLINGEN.

Le Japon qui rêve depuis toujours de conquérir la Chine, profite de l'affaiblissement de la France en 1940 face à l'Allemagne nazie, pour infiltrer des troupes au Vietnam. Les unités nippones occupent des points stratégiques (aérodromes, bases navales, ...)

Le 19 mars 1945 par un coup de force contre l'armée française, elles éliminent l'administration française et son armée. Lors de l'attaque des japonais le 9 mars 1945 des officiers français sont faits prisonniers et décapités, les prisonniers civils, hommes, femmes et enfants sont regroupés à KY-LAA. Les japonais sont ivres du matin au soir. La nuit à la lueur des bougies, ils cherchent une victime parmi les femmes, ils venaient les tirer par les pieds, une ou plusieurs femmes obligées de se lever et se laisser violer, les petites filles subissent le même sort que leurs aînées.

 

La France revient en Indochine en octobre 1945 malgré la défaite du Japon, la division partira en EO pour réoccuper l'Indochine. Septembre : création d'un détachement précurseur du bataillon. Le départ des détachements est effectué par voie ferrée.

 

10 octobre, départ du convoi auto par la route sur Marseille. Arrive à Cassis 40 kms de Marseille. Installation au camp de Carpiagne (un désert). Perception d'effets coloniaux.

31 octobre, le bataillon embarque sur le Pachang-Victory. Mer méchante, mal de mer.

4 novembre, en vue de Port Saïd, mer rouge.

9 novembre en rade de Steamer-Point (Aden).

10 au 14 novembre Océan Indien en rade de Colombo.

20 novembre au soir en rade Singapour. Puis cap St Jacques, piloté sous garde des japonais, remontée de la rivière de Saïgon dans les palmiers et cocotiers.

Débarquement à Saïgon, nous fûmes surpris de voir des soldats japonais qui montaient la garde au port. Nous avons attendu quelques heures pour rejoindre un hangar afin de passer la nuit. Montage des moustiquaires, nous dormions à même le sol. Il nous était interdit de sortir seul, un camarade armé devait nous accompagner pour faire nos besoins.

 

 

Cochinchine, période 1945

 

Les jours suivants, on commençait les patrouilles dans les quartiers de Saïgon - Cholon et Giadinh, puis ensuite dans les rizières. Au début de nos patrouilles en Cochinchine, nous accrochons des groupes de Vietminh, quelques uns ont un fusil attaché par une ficelle pouvant être récupéré par un autre viet en cas de mort ou de blessure du porteur.

 

Les rebelles se camouflent dans l'eau des rizières, respirent à l'aide d'un bambou qui émerge légèrement au dessus de la surface de l'eau. Après les passage des français, ils se relèvent et tirent. Ils se dissimulent dans les passes (?) à riz ou à eau. Les tireurs d'élite (snipers) japonais ou annamites opèrent avec maestria, suspendus parfois à une branche par une culotte bouée qui les empêche de tomber, même blessé. La nuit, ils repèrent les postes et détachements français en tirant des coups de feu afin que se dévoilent nos positions ; une femme jeune et belle essaiera de faire sortir un soldat de son poste, flirtant à quelques dizaines de mètres cachée par des arbres ... il sera tué dans le silence le plus complet.

 

Les viets n'attaquent que lorsqu'ils sont en possession de renseignements complets sur les forces françaises, soit par la supériorité numérique ; l'attaque est violente et courte. Les viets décrochent toujours avant les renforts. Ce genre d'opération a toujours lieu la nuit et il est pratique (en Cochinchine) en raison du grand nombre de postes de 20 soldats, soit la valeur d'une section. La marche des viets est protégée par les éclaireurs en civils et non armés.

 

Puis ensuite nous fîmes la connaissance avec les sangsues dans les rivières. Alors que la nuit, pendant la garde, nous étions piqués par les moustiques.

 

Au cours des jours et des mois, nous découvrons des atrocités de plus en plus horribles, telles que dans une scierie le corps d'un soldat coupé en morceaux, des corps décapités de femmes et d'enfants.

En 1945 on tenta d'enrayer l'insurrection en envoyant en Indochine les éléments de la 2éme DB, et la 9éme DIC en 1946 et 1947 car le conflit prenait de l'ampleur et entrait dans la guerre.

 

Cochinchine, période 1946 – Anname

 

 

2 janvier 1946, on monte une vaste opération de nettoyage sur les abords de la plaine des Joncs avec la 10 et la 11éme, 9éme Cie plus la CA, occupation du poste de Milles 10éme compagnie, prise Schodem, 5 ennemis tués. 11Éme Cie résistance ennemie dispersée, tirs sur jonques, 9éme Cie, 1 blessé, en LCA fouille des arroyos. Là, le corps d'une femme blanche était allongé, le bas ventre affreusement mutilé, il s'agissait d'une AFAT, âgée de 22 ans, elle était en Indochine que depuis très peu de temps. Toujours sur LCA, patrouille :

reconnaître une communauté catholique de THAN-BOA, fouille d'une usine d'essence synthétique, et libération d'un lieutenant indochinois.

 

Le bruit court que le bataillon va bientôt faire mouvement par mer, quittant la Cochinchine pour l'Anname. La bataillon embarque sur le croiseur « La Gloire ». Nous sommes en mer le 26 mars, le croiseur mouille en rade de Tourane, L'armement de la tourelle est de 152 à l'avant et quelques pièces de 90 ; les marins sont à leur poste de combat. Une vedette arborant pavillon blanc et transportant un lieutenant de vaisseau comme parlementaire se dirige vers le port, elle rencontre à mi-chemin une jonque arborant pavillon blanc également ayant à son bord la délégation vietnamienne ainsi que 2 officiers chinois représentant les troupes stationnées encore à Tourane. Le bataillon débarque uniquement une section pour relever les chinois au terrain d'aviation.

 

En fin de matinée, 2 LCI Vénus de Haiphon rejoignent le croiseur « La Gloire », ils serviront au transbordement à quai du bataillon. Il sont accompagnés de l'aviso « Chevreuil ». Le déchargement du croiseur La Gloire est terminé, le détachement resté à bord rejoint sa compagnie. Le bataillon doit s'installer dans les bâtiments de l'ancienne caserne. Les conditions d'installation sont déplorables car la saleté est repoussante. Le moral n'est pas très élevé. Les soldats du bataillon participent au déchargement des jonques de 30 tonnes.

 

Le sergent DIAGNE-SITAPHA de la CA, citoyen français de l'Afrique noire, est obligé de quitter le bataillon ne pouvant rester à Tourane en vertu des accords avec les viets.

Première escarmouche avec les viets, un vietnamien a été touché par un coup de feu sur le terrain d'aviation. Deux sections du génie réparent la piste d'envol. A l'issue, elles regagnent HUE.

 

 

 

La CA occupe les bâtiments de la Pharmacie centrale ; en mai se multiplient les patrouilles en ville de Tourane avec des soldats viets ; la garnison française est en alerte, une information parvenue de Quang Wyai laissait prévoir une attaque à l’improviste des garnisons françaises....

17 juin le général LECLERC visite les cantonnements des troupes à Tourane ; au cours d'une patrouille un soldat s'est figé sur place, rejoint par un autre, puis par deux camarades, ils restent tous les quatre stupéfiés, les yeux exorbités : un corps est là devant eux. Décapité, entièrement nu, , la plaie du cou uniformément plaie sanguinolente est ourlée d'un collier de perles de sang qui accroche les regards de tous les gars de la patrouille. Pour tuer les français tous les moyens sont bons ; un soldat s'approche d'un sac de riz voulant prélever une poignée de grains, il est tué par l'explosion d'une grenade cachée à l'intérieur. Ou ils placent une grenade au-dessous de la porte de leur paillote, avec un astucieux fil de fer attaché à la goupille, la grenade explose à l'ouverture de la porte.

 

Le quotidien du soldat c'est la fréquentation de la mort en permanence, et par le fait, les soldats en patrouille restent des jours sans se laver. La nourriture se borne à des rations militaires ; les combattants sont atteints de toutes sortes de maladies : la malaria, darthes annamites, les cros-cros suite aux piqures des moustiques. Le caporal SAINT-DIZIER CA meurt à l'hôpital de Tourane des suites d'une maladie ; le 23 octobre le sergent-chef LOUIS CA est désigné somme gérant de coopération ; le Capitaine PERRIN prend le commandement de la CA ; le sergent VADAINE de la CA meurt de la fièvre typhoïde ; le point d'appui du terrain d'aviation se renforce de jour en jour et nos soldat construisent des blockhaus....

 

 

Période du 20 décembre 1946 au 30 aout 1947

 

 

20 décembre, de bon matin, des explosions retentissent et nous apprenons que la route du terrain d'aviation est coupée. La 1ère compagnie et la section COURTET plus la section CA, dont je fais partie, est encerclée au terrain d’aviation. En face d'eux de nombreux rebelles estimés à prés de 1000 hommes armée et encadrés par des japonais .... et il y a également des tirs de nuit par obus éclairant du Brassa vers le terrain d'Aviation.

 

23 décembre la liaison est rétablie. Il n'y a eu que 2 blessés. Petite opération d'une section de la CA en direction du Carrefour de HU-Cha à 3 kms de Tourane.

 

30 janvier 1947 --- L'élément Gardin CA à DA-BAE est embarqué sur des L-C-V-P-- atterrit dans les lagunes en 088 -- par la route, la CA retourne à BA-BAC. -- Dans la CA effectue une reconnaissance avec les blindés de la 13ème DBLE . L'opération de dégagement a pleinement réussie et fonce avec 5 scout-car en direction de l'ouest , à partir du carrefour TOURANE-HUE, puis elle longe la rivière des Parfums jusqu'au BELVEDERE.

 

Le sergent VIBER est blessé par explosion d'une mine. La route de l'Esplanade au Belvédère est ouverte par la 11° compagnie qui va au devant de la CA . La Section Gardin est amenée dans les bois du Belvédère. Ce Groupement doit franchir la rivière des Parfums et nettoyer la rive opposée. La première rotation par canots pliants munis de propulseurs a lieu à minuit ; ce sont des mitrailleurs de la CA qui passent en premier. A 1h toutes les Unités sont passées. La section Gardin qui avait assuré la sécurité de la tête de pont repasse sur la rive amie. Opération de nettoyage dans la région des tombeaux de MING MANG par la 10ème, 11ème et la CA. La patrouille revient par PHU-BAI – Récupère 4 armes région DIEM-Tu, tandis que la CA récupère un dépôt de vivre.

 

 

Dans la région de TRONG-HA, à la suite de l'assassinat de 4 francophiles : bilan 12 viets tués, une arme récupérée région de LANG-VIEN --- patrouille CA : RAS – patrouille 11ème CA à AM- JUI : 6 fusils et Sten récupérés --- pont en construction par les pionniers sur la route de CHIEN-BALA. La CA travaille au terrain d'aviation ; embarquement 11ème et 10ème CA sur LST. Après navigation de nuit les Unités sont à la hauteur du SONG-LANG. Le « Dumon » tire 25 coups de 138. La CA demeure sur place et tient la rive du SANG-GIAND ; la CA nettoie la rive nord du SANG-GIAND.

 

1947

 

Patrouille CA et CCB en LCVP sur le Song-Giand – Commencement du travaux du pont par les pionniers du Génie – nombreuses patrouilles avec la population pour retour dans les villages - Les populations ne quittaient pas leurs paillottes mais le Viet, par leur violence et toture, les villageois à notre approche fuyaient se cacher dans des abris préparés à l'avance, creusés sous terre, recouverte d'herbe. Pour les découvrir il a fallu qu'un soldat tombe dans la cachette.

Patrouille en LCVP le long du Song-Giand, dans le but du retour des populations dans leurs villages, d'où reconnaissance et nombreux coups de main en amphibie par la CA et CCB sur les deux rives du Song-Giand et de la rivière Troc. Résultat : 90 tués environ, et 5 blessés chez les amis. -- Nombreux documents saisis, nombreuses grenades et armes blanches détruites.

Patrouille de la CA le long de la rive Nord du Song-Giand qui trouve une population sympathique au travail. Puis débarquement à Lac Clair et retour par la voie ferrée en nettoyant toute la zone de rizière comprise entre le point de débarquement et la rivière THOC ; elle surprend un millier de régulier VM en uniforme, la plupart armé de grenades et d'armes blanches. 150 VM sont tués, deux équipes de sabotages sont anéanties, deux casernes et une vingtaine de centre d'accueil sont incendiées. Trois fusils sont récupérés. Le débarquement a lieu à HAN-LOA sur le Haut Song-Giand et la région est nettoyée.

Au cours d'une patrouille un soldat tombe dans une fosse. Elle mesure 1m. de large, profonde d' 1,50 m, recouvertes de tiges de bambous et d'herbes qui s'effondrent sous le poids du soldat -- les yeux ouverts, les soldats presque debout, des pointes de bambous sortaient de sa poitrine et de son ventre , la mort est instantanée.--

Vaste opération de nettoyage dans un rayon de 5 kms autour de MANDON, peu de résultat. Opération menée par la CA renforcée par la 11ème, 9 ème, quelques fusiliers-maris du « Commandant Delange », 1 LCT – 2 LCVP, 1 pièce de 88 et une de 94. Des groupes de Tu-Vé sont mis en fuite, une trentaine de rebelles sont tués.

 

Tandis que les divers postes du bataillon effectuent des patrouilles dans leur zone d'action respective,et tuent 4 Tu-Vé, la CA va au secours d'un village catholique de TAM-TOA, village menacé par une bande de VM. La bande est mise en fuite et 5 hommes sont tués.

Le CA installe un poste sur le piton de MHIN-SE aux ordres du Lieutenant GARDIN, chef de la Section des mitrailleuses lourdes, qui comprend 4 mitrailleuses de 50. Par pièce il y a 5 hommes et l'adjoint au chef de section, un agent de transmission, un groupe de mortier de 81 et une section de voltigeurs.

La section Gardin CA effectue un coup de main à PHA-KING sur la rivière du TROC, disperse une bande de VM et en tue 8. La section effectue des patrouilles aux alentours du poste de MHIN-LE dont elle poursuit l'installation.

Une opération amphibie est effectuée dans le moyen SONG-GANG qui permet de découvrir et d'anéantir les repaires des Tu-Vé dont 70 sont tués. Deux tonnes de vivres sont détruits.

 

C'était ma dernière opération avant mon retour en France.

 

 

 

Contre qui luttions-nous ?

Les troupes françaises ont lutté contre une rébellion à trois visages différents. L'armée régulière Viet-Minh se compose de divisions, a 3 régiments, de trois bataillons, de groupe de guérillas de 100 à 200 hommes ayant un rôle offensif, les Tu-Vé groupement d'Auto-Défense, les Unités spéciales anti-parachutistes, les volontaires de la mort par groupe de 10 hommes. Les cadres viet-minh sont constitués de sous-officiers japonais, ex-sous officiers annamites de la garde indochinoise.

 

Quel était le matériel ?

Le viet disposait de fusils (mousquetons français, fusils anglais, fusils américains automatiques, fusils japonais, carabines américaines, mitraillettes Sten et Thomson). Ils avaient des mitrailleuses légères et lourdes de 30 -50- 12,7, des mortiers de 60 et de 81. Les grenades étaient de toutes origines et de fabrication locale également. Les mines étaient françaises et japonaises. L'armement complémentaire : des fusils en bois armés de piques, des lances, des sabres, des coutelas. Il y avait du matériel cédé ou abandonné par les japonais avant le 9 mars 1945, ou pris au CEFO à la suite d'engagement ou d'attaques de postes.

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La lutte que soutenait le soldat français en Indochine était une lutte sans merci, un combat de tous les instants, l'esprit toujours en alerte car il n'y avait pas de ligne de front... l'ennemi était partout.

 

Ayons le courage de l'avouer : pour le soldat du CEFO , rien n'a été fait, ni avant son départ, ni pendant son séjour, ni après sa démobilisation. Il fut un paria à qui on demandait des sacrifices constants, sans lui accorder aucune contrepartie valable, pas même celle de le faire respecter car les masses n'ont pas été éclairées sur le sens véritable de sa mission et les buts de cette campagne ; cette lacune, volontaire peut-être, favorisa la propagande subversive de certains partis (sinon dénués d'informations réelles mais soucieuses de les présenter déformées) afin d'entretenir l'épithète « assassin » qui fut prononcé sur notre passage dans un port de France ?

Pourquoi payaient d'ingratitude et d'indifférence les fils qui furent dévoués jusqu'au sacrifice suprême ? pourquoi les insulter ?

 

 

Le retour en France s'annonce

et le Grand Voyage de retour

aura lieu du 30 juin au 4 aout 1947.....

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Le début de la Guerre d'Indochine - filmé par les cinéastes de l'  ECPA  et Pierre Schoendoerffer