Avoir un bon ange gardien

- ou -

comment un poisson m’a sauvé la vie

 

====  Nicolas nous a quitté le 16/9/2019  ====

 

(Récit vécu par le Légionnaire PERLIC Nicolas de 1946 à 1949- 3/3 R.E.I. 9ème Cie et CCB)

 

Nous sommes à la fin de l’année 1946. J’étais affecté à la 9ème Cie du 3/3 R.E.I. qui, depuis quelques mois, avait débarqué en Indochine. Les Compagnies du Bataillon étaient éparpillées aux environs de Vinh-Long, à des points stratégiques et avaient pour mission de rallier la population et de la protéger contre les bandes de pilleurs et surtout contre le Viêt-Minh, qui s’étaient infiltrés dans cette région.

Ma compagnie, la 9, tenait le secteur de Travinh en Cochinchine. Afin de protéger le PC de la Compagnie, des postes de protections furent érigés aux alentours de Travinh.

Je fus désigné pour construire le poste fortifié aux abords d’un fleuve (un bras du fameux Mékong, un des plus longs fleuves du monde). A ma disposition pour ce travail, j’avais 2 légionnaires et quinze soldats indigènes qui s’étaient ralliés aux forces françaises. Avec des moyens de fortune, mais avec beaucoup d’élan et de courage, l’ouvrage fut réalisé en deux semaines environ, ce qui était un record.

Après les heures de service, afin de se distraire, chacun s’adonnait à ses loisirs préférés. Pour ma part, j’aimais pêcher à bord d’une barque qui appartenait au Poste.

Un soir, je m’apprêtais à sortir de la barque pour rejoindre la berge lorsque je marchais sur un des poissons qui était resté au fond de la barque. La nageoire dorsale était très pointue, et peut-être empoisonnée. La pointe s’est enfoncée dans le talon de mon pied droit. J’ai eu immédiatement des douleurs atroces mais j’ai réussi à retirer ce poisson qui était fiché comme un dard.

Après quelques jours, j’oubliais cet événement.

Les années passent. Nous sommes en 1948, toujours en Indochine mais le Bataillon était à cette époque au Tonkin sur cette fameuse RC4 (route coloniale n° 4) qui reliait Langson à Cao Bang, à la frontière de la Chine.

Je faisais partie de la CCB du 3ème Bataillon, dont le commandement se trouvait à Dong-Khé.

J’étais sergent et j’avais la responsabilité du poste Sud de Dong-Khé ; mon chef de Section était le Sous-Lieutenant LAPOUSMADERE.

Le Viet-Minh s’était infiltré dans toute la région et notre mission consistait à dégager et surveiller la route pour faire passer le convoi de ravitaillement du secteur.

A Dong-Khé, depuis quelques semaines déjà, je ressentais des douleurs au pied droit, exactement à la même place où s’était enfoncée la pointe de la nageoire du fameux poisson.

Un jour, ne supportant presque plus la douleur, je me présentai au Médecin du Bataillon qui m’envoya à Lang Son pour faire des radios.

Le lendemain j’étais en route pour cette destination ; le voyage se faisait par étapes et arrivé à That-Khé, j’ai dû de nouveau aller à l’infirmerie afin de me faire soigner. Le lendemain, en arrivant à Lang Son, nous apprenions par le bureau des Transmissions qu’une attaque Viet-Minh avait eu lieu dans la région de Dong-Khé et qu’il y avait eu de sérieux dégâts tant en personnels qu’en matériels parmi les nôtres.

Après quelques jours je rejoignais le Bataillon et j’ai pu me rendre compte des pertes que nous avions eu à déplorer. Ma section de la CCB du 3ème Bataillon, aux ordres du Sous-Lieutenant LAPOUSMADERE, était tombé dans une embuscade tendue par le Viet-Minh sur la route qui mène de Dong-Khé à la frontière de Chine. Lors de l’arrivée des secours sur les lieux, seuls quelques légionnaires ont pu être sauvés….

La bataille avait été féroce et nous avions à déplorer entre autre la mort du Sous-lieutenant ainsi que le Sergent qui avait été désigné pour me remplacer durant mon absence. C’est aussi ce jour là qu’un jeune luxembourgeois au nom de ROSSETTI y a laissé sa vie, atteint par des balles d’une arme à feu. Pour sauver ses camarades, il avait servi une mitrailleuse dont le servant venait d’être fauché par une rafale d’arme automatique.

C’est en pensant à tous mes camarades tombés ce jour là que je termine ce récit et je me dis qu’il devait y avoir un ange gardien avec moi en ces temps-là, pour mettre, 2 ans auparavant, un poisson sur ma route (ou dans mon talon).

Nicolas PERLIC

 

 

 

 

 

 

 

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